"La littérature est un fleuve. A sa source, se trouvent les livres qu'a aimés un enfant." Geneviève Brisac

samedi 1 septembre 2012

Saga Africa

Selon l'Institut Suisse Jeunesse et Médias, "la littérature jeunesse favorise la compréhension de l'Autre mettant en valeur l'altérité aussi bien textuellement que graphiquement." Quelle image de l'Afrique noire est véhiculée par l'album jeunesse ? Comment est représentée l'altérité ?




L'Afrique sauvage :

Beaucoup d'albums présentent une Afrique, très ancrée dans son règne animal, dans ses traditions.
Citons pour illustrer cette Afrique presque sauvage, la magnifique trilogie de Thierry Dedieu : Yakouba (1994), Kibwé (2007) et Yakoubwé (2012).


Yakouba, le premier volet, campe un village africain en pleins préparatifs de fête célébrant une initiation. Pour passer de l'enfance à l'état d'adulte, de jeunes garçons dont Yakouba doivent affronter, la peur au ventre, l'épreuve du combat avec un lion dont ils ramèneront la dépouille au village.



Le thème anthropologique de l'intégration par l'épreuve à la communauté d'appartenance est donc présent dès le départ. (Remarquons au passage que l'épreuve est la même pour tous. Quelque soit leur statut initial, tous peuvent prétendre à la distinction sociale de guerrier, rejoignant ici le principe républicain "A chacun selon le mérite".)
Cette société traditionnelle africaine va permettre à l'auteur de mettre en scène l'opposition entre l'acceptation de la règle et le libre choix fondé sur l'autonomie de jugement moral



En effet, notre jeune Yakouba rencontre un lion blessé. Comme dans les contes, l'animal prend la parole, il expose le dilemme qui s'offre au héros en ces termes :
"Soit tu me tues sans gloire et tu passes pour un homme aux yeux de tes frères, soit tu me laisses la vie sauve et, à tes propres yeux, tu sors grandi, mais banni tu le seras par tes pairs."



Yakouba est confronté à un choix difficile puisque, quelle que soit sa décision, aucune issue ne s'avère pleinement satisfaisante. Aucun choix n'est plus juste ou plus évident moralement que l'autre :
l'un (livrer un combat biésé et tuer le lion blessé), injuste par raport aux autres, à la règle et peu conforme à l'estime de soi.
l'autre  (ne pas tuer le lion), injuste par rapport à son droit à être traité équitablement.

Certains jeunes lecteurs ressentiront sans doute vivement par projection ce conflit entre le "devoir" de ne pas tuer un rival affaibli et le désir très vif de trouver sa place parmi les siens, fût-ce au prix d'un conformisme groupal, car ils sont pour certains à l'âge où l'identification au groupe rend souvent difficile le fait de s'en démarquer.

Une autre lecture possible serait de penser que pour prendre sa décision Yakouba n'a pas besoin d'opposer des valeurs à d'autres valeurs, mais d'examiner ce qu'est véritablement le courage, la manière de rester le plus fidèle possible aux valeurs du groupe.





Après une nuit de réflexion, Yakouba décide donc d'épargner le lion et rentre au village sans sa dépouille. Mis à l'écart, on lui confie le rôle de simple berger. Mais cette sanction sociale est atténuée par la dernière phrase de l'album : "C'est à peu près à ce moment là que le bétail ne fut plus jamais attaqué par les lions". Cette phrase semble valider le choix du héros et lui donner une portée universelle.


Yakouba va-t'il vivre son exclusion comme une injustice ou va-t'il trouver dans sa vie de berger, la sérénité et la sagesse que sa vie de guerrier n'aurait pu lui octroyer ? Il faudra attendre 13 ans (le temps d'une lente maturation ?) pour que Thierry Dedieu concède une suite aux (jeunes) lecteurs.






En 2007, il revient avec Kibwé.
Reprenant ce qui a fait le succès de Yakouba : un album grand format,  noir et blanc d'excellente facture avec une couverture tissée... Le trait de fusain qui trace le décor et les personnages accentue les contrastes, le dénument des paysages, la dureté des visages scarifiés et souvent sans regard. Cette absence de nuance revêt aussi une valeur symbolique : "le noir et le blanc", l'alternative qu'affontent les Héros ne présente pas de troisième voie.


Le texte s'apparente toujours au genre du conte. Les personnages sont campés à grand trait et n'existent que par leur rôle dans un scénario noué autour d'un choix problématique. Concis, le texte passe sous silence les motivations des héros, laissant toute liberté de réflexion au lecteur.



C’est une nouvelle confrontation qui se raconte. Une famine envahit la savane et les hommes comme les lions manquent de nourriture. En chef du clan et pressé par les siens, Kibwé, le frère lion de Yakouba, doit se rendre au village pour rapporter un buffle. A quelques mètre de l’enclos, d’un regard, Yakouba et Kibwé se reconnaissent. Comment nourrir les siens et ne pas déshonorer l’homme qui lui a laissé la vie sauve ? L’honneur et son respect pour lui s’opposent à son statut de chef et à la survie des siens.



 Tous les deux savent qu’ils ne peuvent reculer. S’engage alors un combat qui durera toute la nuit. Aucun ne voudra prendre le dessus sur l’autre et le simulacre marchera. Un même traitement graphique et toujours autant d’émotion passe dans cette rencontre qui laisse là encore toute sa place à la réflexion personnelle du jeune lecteur.









Synthèse de ces deux premiers albums, Yakoubwé est sans doute le plus dur, l'un des plus puissants aussi.



Afin de venger un homme dévoré par un lion, les guerriers partent, la lance au poing. Trois jours plus tard, ils reviennent, acclamés. L'un d'eux jette la dépouille d'un lion aux pieds de Yakouba : "Tiens ! C'est ton ami, je crois ?!" C'est Kibwé, son frère lion, mort.



Alors d'un geste fou, Yakouba emporte la tête du lion, part dans la savane et devient Yakoubwé, mi-homme, mi-lion.





 Il vit dans une hutte à mi-chemin du village des hommes et du territoire des lions et agresse quiconque l'approche. Pour tous, il a perdu la raison. Véritable trait d'union entre deux peuples, il les protège les uns des autres, évitant ainsi toute nouvelle folie meurtrière.

Les années passent. Tous finissent par comprendre l'intérêt de vivre en bonne harmonie. Chacun finit par respecter son choix. Devenu vieux et apaisé, Yakoubwé se laisse alors mourir, allongé sur la frontière imaginaire qu'il avait dessinée, la tête chez les hommes et le corps chez les lions.





Depuis, on dit que l'esprit de Yakouba est dans chaque lion et que les lions qui aperçoivent un humain s'approchent en espérant voir Yakouba encore une fois. Dans chaque village, on célèbre la mémoire de Kibwé et Yakouba en choisissant deux enfants liés par une forte amitié que l'on grime en lion et en homme. Et, au son du tam-tam, on raconte leur histoire ...


En dépassant leur histoire personnelle, en se sacrifiant, Yakouba et Kibwé vont faire œuvre de pacification. Le prix est toutefois très cher, et il n'y a rien d'étonnant à ce que le parcours de Yakouba devienne une sorte de mythe, une histoire que l'on raconte le soir au village.

" En quelques phrases bien choisies, et surtout des images saisissantes, Thierry Dedieu offre un album violent, puissant, à portée philosophique. Il suffit de voir la gueule du lion acculé en paralèlle avec le visage de Yakouba hurlant sa souffrance pour saisir la connivence entre ces deux-là. L'homme est un animal comme les autres, semble nous dire l'auteur. Et, au contraire du sensible héros de cette trilogie, les villageois doivent encore apprendre à respecter, comprendre leur environnement."


Il faudra malheureusement non pas un, mais deux sacrifices pour que la leçon commence à porter - on passe alors à des illustrations sepia, moins tranchées que les précédentes. Yakoubwé clôt de manière bouleversante cette magnifique trilologie.



Mais attention, à trop porter un regard profondément "occidental" sur un tel conte, on risque d'en perdre le sens ou plutôt l'essence même voire la nature profonde. En Afrique, il n'est nullement question de disséquer le conte ni de le retourner dans tous les sens pour en extraire toute la quintessence.








Dans Rafara : conte populaire africain d'Anne Catherine De Boel, pas de singe, pas de lion, ni de village non plus. L'histoire en elle-même est une retranscription fidèle d'un conte populaire découvert en Afrique noire. La plus grande part de création dans cet album a été réalisée au niveau des illustrations.
 
 
 
Rafara ("la dernière") est une petite fille qui vit quelque part en Afrique. Elle a deux grandes soeurs qui lui vouent, depuis toujours, une haine sans limite. Un jour, alors qu'elles cueillent ensemble des morelles dans les bois, les deux soeurs  abandonnent la petite fille tandis que la nuit approche.



 C'est alors qu'un affreux monstre, Trinobe ("celui qui grogne fort"), l'emmène dans son antre et lui propose de la traiter comme sa fille. Chaque jour, il lui apporte toujours plus de nourriture, dans le secret espoir de la manger.


Dans sa prison, Rafara rencontre une petite souris qui lui conseille de fuir et luir offre à cet effet trois objets magiques qui l'aideront à recouvrir la liberté.


 

L'histoire n'est pas sans rappeler d'autres contes d'origine diverse : Hansel et Gretel, Baba Yaga, Cendrillon, ... Le jeune lecteur retrouve donc ici la structure habituelle des contes telle qu'il la connait :
1. Le personnage principal est d'abord posé en victime
2. arrive ensuite la mise à l'épreuve (remise des objets magiques : le bâton, la pierre et l'oeuf, recommandations,...)
3. l'épreuve en elle-même a lieu ("combat" contre Trinobe, utilisation de la ruse et recours aux incantations magiques)
4. La jeune initiée ressort victorieuse du duel

Le dessin particulièrement expressif, raconte à lui seul l'histoire. Rafara elle-même, telle qu'elle est représentée, est l'archétype même de la petite fille africaine : proéminence des lèvres, rondeurs, tresses, ...



Le dessin jouant sur les nuances d'ocre et de marron est relativement épuré. tout est focalisé sur les personnages et l'action en elle-même. Mêlant travail à la craie, découpage et superposition de feuilles et peinture, Anne Catherine de Boel surprend le lecteur, en alternant douceur des rondeurs de Rafara et représentation très géométrique du monstre dont le corps tel les écailles d'un poisson est recouvert de signes ethniques.

Enfin, certaines illustrations sont conçues comme un cadre : au centre le dessin principal, autour le cadre, composé de saynètes à lire dans le sens des aiguilles d'une montre.



Anne-Catherine de Boel s'autorise ici des libertés à l'égard des formes habituellement pratiquées dans les représentations des contes traditionnels d'Afrique noire, alliant tradition et originalité pour notre plus grand plaisir à tous.
 









L'Afrique rurale :

Au coeur des traditions rurales, certains albums s'attachent davantage aux croyances et aux rites africains : c'est la vie quotidienne des tribus qui nous est présentée, souvent à travers le regard d'un enfant africain.

 


"L'Afrique, petit Chaka ..." est un album écrit par Marie Sellier et illustré par Marion Lesage, sur l'initiative du musée national des Arts d'Afrique et d'Océanie.


 
Un petit garçon d'origine africaine interroge son grand-père Papa Dembo sur l'Afrique de son enfance. A travers leur dialogue, empreint de tendresse, le jeune lecteur découvre une Afrique pleine de couleurs, de rites et de magie.

Une atmosphère chaleureuse se dégage du texte, rythmé par les questions du petit garçon.

"- Dis-moi, Papa Dembo,
dis-moi quelle est la couleur de l'Afrique ?

- L'Afrique, petit Chaka ?
L'Afrique est noire comme ma peau,
elle est rouge comme la terre,
(...)
L'Afrique, petit Chaka,
a toutes les couleurs de la vie."






Et c'est ainsi que dans la pure tradition des griots, Papa Dembo raconte sa terre natale : ses parents, son village, la pêche, la brousse, l'arrivée de la pluie, la danse des esprits masqués, la magie, les ancêtres, ...
La plupart des mots coulent comme le miel. Certains, pourtant, sont empruntés au champs lexical de l'Afrique, immergeant d'autant mieux le jeune lecteur.

La palette de Marion Lesage, jonglant avec les bruns,les ocres, fait danser les costumes clairs des hommes et les boubous colorés des femmes.
Ses peintures sur des papiers rustiques, superposés incitent le lecteur à découvrir l'art original qui les a inspirées.



Seul le portrait de la mère de Papa Dembo apparaît finement détaillé, à l'image de la figure maternelle très présente tout au long de l'album.
Les autres personnages sont représentés sans visage, croqués sur le vif, dans le mouvement de leur vie quotidienne, leur donnant même un côté légérement iréel.



 
 
 
L'album observe habilement l'alternance de ces peintures et la photographie d'une oeuvre d'art africain : poupée, masques, harpe, siège, statuette en terre cuite,...
Ces objets d'art africain renforcent la page de texte, ramenant le lecteur à la réalité comme pour prouver la véracité des propos du grand-père.
 



Sur la dernière double page, une carte du continent africain permet de situer l'origine de l'ensemble des objets, dont la sélection tirée du musée des Arts d'Afrique et d'Océanie est remarquable !



Approche poétique et magique de l'Afrique, en évoquant la rêverie, la rudesse du quotidien, la richesse de l'Art, ce magnifique album éveillera sans aucun doute la curiosité du jeune lecteur pour cette terre de contrastes et de sensations.

En suivant le lien ci-dessous, vous trouverez un document qui permet une première approche ainsi que des prolongements possibles de ce magnifique album.
 
















L'album de Gloria Whalen et Peter Sylvada nous raconte la vie quotidienne d'une petite malienne de 8 ans  : Yatandou.



Yatandou, comme les autres fillettes , comme sa mère et les femmes du village se lève tôt pour piler le mil dans un pays où tout est jaune de chaleur, de vent et de sable.

Dans cette vie où l'horizon se confond avec les tâches récurrentes de la survie quotidienne, les enfants tiennent une place très importante dans le travail de la communauté aux dépens de leur éducation. Les femmes, quant à elles,  tout en occupant un rôle secondaire, sont polyvalentes. Toutes ensemble, elles rêvent d'une vie meilleure ...

Yatandou pense : "Tout en pilant, je rêve d'une nouvelle paire de boucles d'oreille. J'essaie d'imaginer ce que serait d'aller à l'école pour apprendre les secrets des livres, comme mon frère. Je regarde un aigle voler librement au gré du vent."







Les femmes vont alors tout faire pour mener à bien leur projet. Yatandou participera, elle aussi, à l'amélioration de la condition féminine et enfantine, en sacrifiant quelque chose qui lui est cher.

Le grand jour du changement arrive apportant une machine à piler le mil.
Ce sera du temps de travail manuel en moins et de l'argent en plus pour les femmes du village qui apprendront aussi à compter et à lire.
Même si le père de Yatandou, dans un premier réflexe, se plaint que les femmes "deviendront paresseuses et que cela fera des histoires", il révise vite sa position.



La fillette de son côté voit une partie de son désir se réaliser : elle apprend à écrire son nom tout en formulant un nouveau voeu : "le jour où j'aurai une petite fille, je lui montrerai. Je lui dirai comment j'ai élevé Sunjata et pourquoi je l'ai vendu pour aider à faire venir la machine dans notre village."

"Elle montrera le pilon à sa fille, qui n'aura jamais à l'utiliser", lequel n'est pas sans nous rappeler le geste de nos arrière-grand-mères, nous désignant parfois de rares lavoirs survivant dans les villages pour indiquer tout le temps qu'elles passèrent, courbées, à frotter et à récurer le linge ...


A la fin de l'album, l'auteur reprend la parole et nous apprend qu'avec le soutien des populations locales et des gouvernements, ces "machines à piler ", officiellement appelées "plate-formes multifonctionnelles" ont été introduites dans plus de 350 villages africains. Ces palte-formes sont la propriété d'un comité de femmes désigné par l'association des femmes et le village. Ce sont elles qui les font fonctionner et les entretiennent ...


Peter Sylvada signe quant à lui, un magnifique travail, avec ses pinceaux. Ses peintures aux couleurs chaudes rend palpable la beauté des lieux et des femmes maliennes sous ce soleil implacable.




 







Si dans nos sociétés occidentales, il est commun d'affirmer que la gourmandise est un vilain défaut, ici elle est plutôt un atout pour la petite Diabou Ndao. C'est d'ailleurs sans doute ce qui a séduit mon glouton de petit garçon qui m'a fait découvrir ce magnifique album.

Diabou Ndao est un de ces contes wolof * qui ont bercé l'enfance de Mamadou Diallo, l'un des plus grands conteurs sénégalais, aujourd'hui disparu. Il nous raconte l'histoire de cette petite fille têtue et effrontée comme il en existe partout dans le monde.



Diabou Ndao est une petite fille espiègle, sorte de "fifi brin d'acier" africaine ! Comme tous les enfants d'Afrique, elle raffole des gnioules, ces petites noix de palmiers que l'on casse pour en croquer l'amande. Imperturbable, Diabou Ndao casse et mange ses gnioules, jour et nuit.



Elle est tellement absorbée qu'elle ne tient pas compte des avertissements de sa famille lorsqu'un lion s'approche du village ... D'ailleurs, elle ne craint pas ce "petit chat malade" et affirme avec sa force toute tranquille que "ce n'est pas un lion qui fera courir Diabou Ndao".



 

Ce qui devait arriver, arriva : le lion finit par l'avaler ! Mais Diabou Ndao, que rien ne semble pouvoir perturber, s'en sort d'une façon surprenante (!!!) et l'avale à son tour, le lion ne s'avoue pas vaincu pour autant ...

Comme de nombreux contes africains, Diabou Ndao puise dans le foisonnement des fantasmes universels, tel celui de la dévoration, avec ici, le ressort du comique de répétition ... A n'en pas douter, ce conte aurait régalé Bruno Bettelheim !!!







L'histoire ne s'arrête pas là, Diabou Ndao ne réserve pas de surprise qu'au lion seulement, mais également aux adultes de son village ... Je vous laisse le plaisir du dénouement de ce conte truculent, qui fera à coups sûrs rire petits et grands !



Notons encore une fois, qu'en Afrique noire, le conte qui est transmis et porté à la connaissance des enfants , est plutôt pensé comme un don. C'est un enseignement en soi et c'est à force de pratique et d'écoute que les enfants comprendront le sens caché des mots et feront leurs les valeurs qu'il incarne.
Les illustrations de Vanessa Vié, restituent magnifiquement l'atmosphère et le burlesque de la situation. Sur toute une gamme de bleu et de brun, se détachent toutes les silhouettes de l'histoire aux formes géométriques et notamment la robe rose de l'héroïne. Son travail sur les ombres pourrait inquiéter les jeunes lecteurs pourtant il se dégage de ce conte une sérénité qui tient notamment à la force tranquille de notre petite "avalée-avaleuse".




 
* Le Wolof est une langue de la famille Niger-Congo. Elle est parlée par 8 à 10 millions de locuteurs, principalement au Sénégal, en Gambie et en Mauritanie. Il s'agit d'une langue de tradition orale.


 
 
 
 
 

Yves Pinguilly est un auteur incontournable quand il s'agit d'album jeunesse traitant de l'Afrique. Fin connaisseur du continent africain qu'il fréquente depuis quarante ans, il est l'auteur de nombreux  récits ayant pour cadre le Togo, le Bénin, la Côte d'Ivoire, le Burkina-Faso, le Niger, La Guinée, le Mali, l'Ethiopie,...

En s'inspirant de l'histoire personnelle de son amie ivoirienne, N'naplé Coulibaly, qui co-signe avec lui, Yves Pinguilly imagine le parcours de Maïmouna, qui habite quelque part en Afrique noire.

 

Maïmouna qui avala ses cris plus vite que sa salive est un des rares albums à évoquer le problème de l'excision.






Maïmouna a revêtu un joli pagne neuf orné de belles fleurs rouges. Toutes les autres petites filles du village en portent un également. Elles sont gaies et insouciantes. Elles ne se doutent pas de l'acte irréparable que certaines ont planifié.



Les mots métaphoriques d'Yves Pinguilly se font alors de plus en plus crus au fur et à mesure de la progression des vieilles femmes que l'illustratrice Caroline Palayer a choisi de représenter sous la forme d'oiseaux noirs aux becs jaunes acérés. Et tandis que l'image montre les affreux volatiles déflorer de leur bec les pétales rouges d'une fleur symbolisant la virginité enfant, le texte ose :

"Le premier des oiseaux écarta les pétales d'une fleur pour mieux la blesser, la couper, la mutiler, l'exciser. Les autres oiseaux encerclaient les petites fleurs de l'arbre. Mais est-ce que c'était bien des oiseaux ou est-ce que c'était des vieilles qui s'étaient transformées en oiseaux ? On le sait, des hommes peuvent devenir des lions et des femmes des éléphantes, alors ..."

Dans la double page suivante, une vague écarlate nous emporte en même temps que les cris des fillettes et les pétales rouges gisant par terre au bout de barbelés.

Contraste fort, le premier paragraphe suivant est consacré à Abdou, le frère de Maïmouna, épargné grâce à son sexe de garçon, et dont le seul souci est de choisir la couleur du vélo qu'il dessine : rouge ou bleu ? Il choisit le bleu !




La deuxième partie de l'album, plus courte, se déroule plusieurs années plus tard. Ce jour-là, les fillettes devenues femmes "apperçurent un bouquet d'oiseaux dans le ciel". Elles prennent alors "les armes" pour sauver leurs jeunes soeurs de la mutilation.  Seul Abdou, au premier plan, ne s'inquiète pas de ce qui se passe, accaparé par la moto qui a remplacé le vélo de son enfance.



Dans un geste divin, les jeunes femmes fendent le fleuve en deux pour permettre aux "petites" d'échapper aux "oiseaux fous".

Dans la dernière double page, grâce à la résistance des fillettes mutilées, devenues femmes battantes et rebelles, leurs filles et les filles de leurs filles seront épargnées par toutes formes de mutilation. Quant à Abdou, la moto s'est transformé en taxi-brousse, il continue de se désinteresser du sort des petites filles de son village, mais est cette fois relégué en arrière-plan.



Un album très émouvant parlant avec des mots justes et forts  et des dessins aux couleurs vibrantes du drâme de l'excision. Un immense bravo !









 
 
 
 

L'Afrique urbaine et contemporaine :

 
 
Dans Moi, j'attendais la pluie de Véronique Vernette, la savane, les baobabs, les griots, les chasseurs, les lions et les sorciers ont définitivement disparu, laissant place aux ruelles d'Ouagadougou, à la vie animée des cours intérieures, aux bruits des voitures et des camions, aux cris des enfants jouant sur place,...
 
 
Les petits lecteurs sont plongés dans l'Afrique urbaine, civilisée et moderne et découvrent la vie quotidienne dans la capitale du Burkina Faso. Conçu tel un carnet de voyages, cet album permet de donner aux lecteurs européens une nouvelle image de l'Afrique noire, loin de tous les clichés et représentations qu'ils peuvent avoir en tête.
 
 
 
Ce magnifique album, très coloré, raconte l'histoire d'une petite fille qui vit à Ouagadougou et désespère de voir arriver un jour la pluie. Elle a décidé qu'elle attendrait toute la journée qu'il pleuve. Alors que, tout autour d'elle, la vie continue, chacun s'afférant aux tâches quotidiennes (cuisine, lavage,...), la petite fille passe son temps à scruter le ciel, surveillant chaque nuage.  
 


 
Le passage du livreur de bois, la venue du mata (couturier ambulant) ou du pousseur de barriques (fontainier) ne changeront rien à son attitude. Elle, elle attendait la pluie.
Pourtant le soir, après le dîner, le vent souffle de plus en plus fort, faisant avancer de gros nuages noirs. La pluie est enfin arrivée ! Alors que tout le monde se précipite pour échapper aux grosses gouttes, la petite fille savoure cet instant avant de s'installer sur le canapé du salon , pour entendre tomber la pluie sur la taule ondulée. Il n'y a pas de plus belle musique à ses yeux ...
 
 
 


Plus encore que le texte, c'est l'image qui compte. Chaque dessin occupe une double page et est travaillé au crayon de couleur et aux encres de couleur ce qui copntribue à le rendre vivant et animé.
Toute perspective est gommée et les illustrations regorgent de détails qui sont autant d'informations sur la vie en Afrique noire de nos jours. Pour les enfants, la lecture de l'image s'apparente à une chasse au trésor, l'enjeu étant de retrouver tous les éléments dissimulés  (la petite voiture faite de boites de conserve, les épices, les graines pour préparer le tô ...)
 
 
 
 
On retrouve dans cet album une légéreté et une insouciance qui font souvent défaut aux albums sur l'Afrique noire. Véronique Vernette nous offre ici une nouvelle image de l'Afrique noire, une Afrique différente, pleine de vie et d'avenir, dans laquelle les petites filles, comme celle que l'on suit vont à l'école, s'amusent avec une poupée en chiffon, portent des short et des espadrilles,...
 
 
 
 
 
 
 





Une des représentations de l'Afrique moderne dans l'Album jeunesse est celle de l'émigration.
 
"Papa et maman ont dit qu'on partirait demain. Papa a montré la lune qui brillait dans le ciel et a dit que c'était là qu'on irait."



Tu vois la lune des éditions Anna Chanel aborde avec beaucoup d'intelligence et de sensibilité, l'exil forcé, l'émigration clandestine d'une famille africaine vus par les yeux innocent d'un enfant.



Il faut partir, quitter le village déjà dévasté car la terre n'a plus d'eau. Avec ses parents, Ashé le petit frère, Ama la grand-mère, notre jeune narratrice entame un long périple, vers la Lune, pense-t-elle.



La Langue sèche, le ventre creux, mais le coeur rempli d'espoir, ils marchent sous le soleil, traversant la mer, se cachant au fond d'un bateau puis d'un camion, avant de se retrouver dans "un grand hangar gris" plein d'autres familles "avec du sable dans les cheveux et de la brume dans les yeux" ...

Agnès de Lestrade aborde ici le dur sujet de la pauvreté, l'émigration, la clandestinité sans tomber dans des considérations politiques. Avec des mots simples, une écriture délicate, elle facilite la compréhension des plus jeunes, notamment en faisant transparaître, un peu comme un fil conducteur, une évocation puissante, celle de la privation d'eau.
Les petits lecteurs peuvent dans cet album prendre la mesure du gouffre qui sépare nos sociétés de consommation et d'autres sociétés d'une extrême pauvreté, où les besoins vitaux ne peuvent être comblés.



L'auteur choisit une fin heureuse, avec les retrouvailles du cousin Sekouré, mais la réalité est souvent autre malheureusement.
Enfin le besoin d'eau est assouvi, nourissant tous les espoirs de cette enfant "grâce au grand tuyau qui coulait tout seul, j'allais vivre et grandir."

 

Les illustrations d'Anaïs Barnabé, dont c'est le premier album, alternent les gros plans sur les visages chargés d'émotions et les payasages écrasants. Ces paysages dominent l'homme, tantôt à travers les couleurs chaudes de l'Afrique, tantôt à travers les couleurs froides des milieux hostiles qu'ils traversent.





Les images interpellent, comme celle du village déserté, ressemblant "à un champ de mines à cause des trous qu'on avait creusés un peu partout pour trouver de l'eau".



L'attente de la famille cachée dans le ventre du bateau, sous un tissu où leurs coeurs rouges contrastent avec leurs ombres, témoignant de leur vive émotion.




L'arrivée déshumanisante dans le grand hangar gris où sont entassées des dizaines de visages aux allures de masques africains ayant toutefois perdu toute expressivité.



Et puis arrive l'oncle aux rondeurs rassurantes emportant avec ses bras et son rire, les enfants ... Avec lui, les couleurs chaudes et gaies qui rappellent le village apparaissent en arrière-plan.




Un album merveilleusement bien écrit, aux illustrations riches et justes.










 
Il ne reste plus à espérer que l'intérêt manifesté pour l'Afrique noire et ses magnifiques contes perdurera dans le temps et que les éditeurs seront longtemps encore animés par cette volonté de faire découvrir la culture de l'Afrique noire aux enfants.
 
Pour conclure, quelques paroles de griots :
 
En Afrique, chaque fois qu'un vieillard meurt, c'est une bibliothèque qui brûle.
Amadou Hampaté Bâ
 
 

Ba zanka simuusu bay, a ga ma hééno
Quand bien même l'enfant ne connaît pas le lion, il entend son rugissement.
 
 
Un conte c'est le message d'hier tansmis à demain à travers aujourd'hui.
Amadou Hampaté Bâ

 
 
 
AUJOURD'HUI, C'EST MERCREDI :
 
Avec les galets que les enfants ont ramassés cet été, nous avons confectionné un morpion d'un genre particulier : Afrique versus Océanie